"Au pays des auxilaires de vie" par Emanuelle Bety

BETY Emmanuelle [1600x1200].jpgMa carrière dans ce nouveau pays a débuté il y a un an. J'ai 37 ans, je bénéficie du 24H/24H car mon handicap me prive de l'usage de mes membres supérieurs et inférieurs. Je me déplace en fauteuil électrique et la nuit j'ai un appareil respiratoire. Heureusement, j'ai toute ma tête au grand dam de certaines auxiliaires, qui trop souvent m'ont assimilée à une personne âgée! Eh oui, vous le constaterez un peu plus loin.

Je deviens d'un coup d'un seul chef d'entreprise : je fais appel à un service mandataire qui me trouve des personnes pour m'aider et moi, je fais le joyeux chèque pour la magnifique prestation accomplie durant le mois.  Une équipe s'organise avec  3 personnes par jour : chouette, vive l'autonomie, la maitrise de sa vie ! La devise avec l'association : « Vous êtes mes bras, mes jambes, mais pas ma tête.» Ironie, ironie : tout est ok côté organisation, ça « roule », je vis, je sors etc., JE SUIS, J'EXISTE.

Mais avoir toujours des personnes avec soi est difficile psychologiquement car vous n'avez plus de vie privée. Or, la liberté s'acquiert via cette dépendance humaine, sinon  c'est l'institut... J'ai encore le temps !

La lune de miel avec les auxiliaires est de courte durée : 1 mois.  Le personnel de nuit pensait avoir à faire à une personne âgée ou faire comme avec une personne âgée à domicile ; la plupart ayant beaucoup travaillé avec. Or zut, j'ai 37 ans et je vis ma vie de façon non réglée, je vis à mon rythme. Pas d'horaires de coucher, ni de mixture, ni de médicaments. J'ai juste besoin de personnes pour tous les actes de la vie quotidienne et d'être réactifs si besoin est. Je maitrise ma vie, mon navire et les choses sont claires dès le départ. Or c'est déphasant : dans « mon cursus d'auxiliaires » entre mars à décembre 2009 j'ai eu 17 personnes. Cursus, car je suis nouvelle dans le métier de chef d'entreprise de ma vie : gérer, se faire respecter, composer c'est difficile lorsqu'on est dépendant. Ca s'apprend en permanence.

Donc vous voyez les choses sont différentes de certaines personnes et mon rythme a déplu. A partir du moment où j'ai eu mon conjoint, les enfants, les choses se sont envenimées car je n'étais plus seule et même seule, des attitudes répréhensibles sont arrivées. Donc j'ai un conjoint, ça du coup, ça ne plait pas et en plus il est aussi en situation de handicap et le summum, on a une vie intime et on ne se couche pas à 20H ! Un jour, une auxiliaire nous souhaite « bon courage » en quittant la chambre, la pauvre manque de tomber en fermant la porte, tellement apeurée par ce qui arrivera ! Craignait-elle d'assister à quelque chose ou ce sont ses propres frustrations qui parlent ? Des méchancetés et des mensonges on été dit. Notre intimité est mise en lumière alors que la discrétion, le respect font partis de nos principes. Conséquences : sermon de 45 minutes, je dois mettre mon intimité en berne pour pas choquer les auxiliaires, dixit la coordinatrice dont l'unique boulot est de trouver des personnes et gérer les plannings ! Et convocation ! L'intimité pose un réel souci pour certaines. Du coup, votre vie de couple est mise en exergue.

Je parlais du respect, eh bien c'est une notion oubliée pour beaucoup. De la coordinatrice qui par manque de personnes et de malveillance car je ne suis pas dans le moule, me met des personnes qui m'abandonnent le jour même de leur arrivée. D'autres refusent de faire le repassage, d'autres ne conduisent pas alors que c'est hyper important et convenu au départ et on me dit que de nos jours ca n'est pas obligatoire pour être auxiliaire de vie, que j'ai une chance inouïe alors que je ne peux plus sortir. Lors de remplacements, on ne me prévient pas de qui viendra ou pas donc il faut se débrouiller seule, heureusement de bonnes auxiliaires ou ma pauvre maman - au détriment de sa santé - m'ont dépannée mais la coordinatrice pouvait me laisser sans personne le weekend tandis qu'elle pouvait faire son barbecue en toute impunité ! Jamais d'excuses sinon « on ne peut pas inventer les gens qu'on n'a pas ! » : oui, peut-être mais qu'on ne veut pas contacter.

Pour le manque de respect c'est me prendre pour une idiote et me parler comme si j'étais sénile. Ce fameux « bonjour Madame » d'un air niais. De me faire des réflexions style : « vos culottes sont réfractaires, votre haut est moche » car la pauvre ne réussissait pas à mettre mes vêtements pourtant faciles à mettre, « On aime bien être coquette, ah vous êtes serrée dans votre pantalon ! », «je vous ferme les volets car c'est l'heure de dormir » etc. Ou encore de dire « C'est de votre faute si je suis dans cette situation désormais ! » car la personne ne voulait pas suivre lors du licenciement, de me harceler pour savoir si je changeais d'association car la fille avait besoin d'un CDI ou bien pour un CDI pour remplacer quelqu'un d'autre, tout est ok, et l'auxiliaire doit commencé lundi eh bien le vendredi, elle m'annonce qu'elle choisi un autre poste pourvu antérieurement  etc.

On prend des décisions pour moi, on déblatère des choses sur moi, ma vie, il n'y a pas de secret professionnel. On veut me mettre des personnes inadéquates en CDI -en deux beaucoup partent car trop d'heures dès le lendemain après leur nuit- et dont je sais que pour le poste ici, ça n'ira pas : compétences, ententes, toucher etc.

Je suis dépendante certes mais je dois être respectée ! Or j'ai quelqu'un qui me suait dessus sans s'excuser. Que faire sinon lui dire gentiment, mais je n'étais entendue de personne : aider de ma famille, certaines auxiliaires car il y'en a de très bien.

 

Ce sont des mois difficiles car toujours des imprévus et vous êtes lâchée par votre association, discriminée, vous n'avez plus d'autonomie et c'est pas grave. Pourtant qu'ai-je fait pour mériter cela ? Juste vivre ma vie et surtout en respectant les auxiliaires car chez moi la vie n'est pas l'enfer, loin de là. Mais de mauvaises personnes, une mauvaise gestion font que j'étais abandonnée, déprimée car je ne suis pas comme les personnes âgées ou dans une structure et que surtout, je vis comme les autres avec une vie sociale : amis, famille, conjoint et enfants et ça c'est dur pour certains. J'ai surtout ma tête et je sais comment diriger ma vie or j'ai besoin des autres et je le sais, c'est un travail car leur boulot n'est pas facile mais mon statut non plus. « Faire avec et pas à la place de » peut être difficile à comprendre.

Je passe les détails, mais en décembre j'ai quitté l'association qui à part empocher les frais de gestion, fichait rien et à tel point qu'on m'a demandée de faire mes recrutements moi-même ! Non mais, bien-sûr ! Alors oui, j'ai bossé là-dessus : annonces ANPE, entretiens, bref je suis devenue une businesswoman. De bonnes rencontres puis j'ai trouvé une nouvelle asso qui me convient bien dont le personnel est bien formé et n'est pas dilettant. J'ai 1 auxiliaire qui m'a suivie de mon ancienne à la nouvelle, et c'est chouette car c'est un autre système où les personnes restent quelques jours chez moi.

Là où je suis, c'est vraiment un changement de cap car bonne gestion du personnel et bonne communication avec moi (ce qui n'empêche pas un couac le 25 décembre où on m'a lâchée alors que tout était calé avec les 2 autres personnes). Et je revis, je vis : mon conjoint est accepté et mes beaux-enfants aussi, ma famille, amis, ma façon de vivre, faire mes activités etc et surtout les personnes s'occupent bien de moi et je suis rassurée, ma famille aussi car avoir de bons auxiliaires -car j'ai un homme aussi- est important et une bonne coordinatrice.

Voilà ma carrière de gestionnaire de ma vie et de mes auxiliaires car c'est comme une famille avec des règles, du respect, de la complicité, du dialogue etc. Mais ne jamais oublier le respect dans les deux sens.

Je vous ai brossé un portrait peut-être noir de ce pays  mais malheureusement, ça n'est pas le fruit de mon imagination mais une vérité. Je vous ai passé bien d'autres détails mais j'ai bien vécu cette expérience car être dans une situation de vie hors du schéma conventionnel perturbe beaucoup les acquis du métier.

Aujourd'hui, je vais beaucoup mieux. Toute association a ses failles mais une bonne gestion, de bons auxiliaires et tout roule. Et merci aussi à eux de faire ce métier et de bien le faire pour ceux qui aiment leur travail et de nous permettre de vivre à domicile et vivre notre vie.

Emmanuelle Bety

 

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