Aurélie Jean : «Notre solidarité et notre engagement post-confinement seront déterminants»

Tous les mardis sur Facebook, AGORA APF FRANCE HANDICAP débat autour de thématiques diverses. Aujourd'hui, la solidarité !

Tous les jours, Le Figaro interroge une personnalité sur la façon dont elle envisage l'après coronavirus. Aurélie Jean, docteur en sciences et entrepreneuse, appelle à «garder l'esprit ouvert».

Tous les jours,Le Figaro interroge une personnalité sur la façon dont elle envisage l'après coronavirus. Aurélie Jean, docteur en sciences et entrepreneuse, appelle à «garder l'esprit ouvert». Aurélie Jean,37ans,est docteur en Sciences et entrepreneuse.

Elle a sorti son premier livre De l'autre côté de la Machine, voyage d'une scientifique au pays des algorithmes, chez L'Observatoire en 2019.


LE FIGARO. - Le premier ministre Édouard Philippe a dit que cette crise allait révéler ce que «l’humanité a de plus beau et de plus sombre» . Qu’avez-vous vu pour l'heure ?
AURÉLIE JEAN. - Témoins et acteurs du «plus beau comme du plus sombre», nous apprenons tous de ce confinement social et économique. Le plus beau est certainement l’attention individuelle entre voisins, entre collègues, ou entre proches. Collectivement, on (re)découvre la valeur inestimable de nombreux métiers qui contribuent largement au fonctionnement de notre société. Éboueurs, concierges, ou encore personnel de santé et commerçants, c’est à eux qu’il faudra penser en sortie de confinement. Car la sortie sera pénible pour ces hommes et ces femmes qui auront les traits marqués, au sens propre comme au sens figuré. Elle sera aussi exténuante pour les PME, les entrepreneurs ou encore les artisans qui, par leurs coûts fixes élevés, leurs revenus fortementdiminuésetuneflexibilitéfinancièreincomparablementplusfaible que celle des grands groupes, seront les premières victimes économiques collatérales. Notre solidarité et notre engagement post-confinement seront déterminants.


Qu’allez-vous apprendre de cette épreuve de confinement ?
Nous sortirons tous transformés. Naïvement, savourer encore davantage les moments de libertés avec nos proches, nos corps qui se serrent l’un contre l’autre, et nos joues qui se touchent, sont autant de petits riens qui deviendront de grands instants. Moins évident mais tout aussi puissant,nombreuses sont nos habitudes, que nous revisitons aujourd’hui de façon pragmatique par nécessité personnelle ou professionnelle, et qui dessineront peut-être nos nouveaux repères.
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Voyez-vous déjà des choses qui ont changé dans le pays ?
Bien sûr. Nous prenons désormais mieux conscience des relations d’interdépendance avec notre entourage personnel et professionnel, qui se réorganisent en temps de confinement. Les relations contractuelles ethiérarchiques s’enretrouventremodelées.Lesmédecinscollaborentencoreplusaveclesinfirmiers et les aides-soignants qui sont en contact direct et régulier avec des patients du Covid-19,pour apprendre des symptômes et des mécanismes de ce virus encore mal compris. Le temps de ce confinement, nous remplaçons les
professeurs de nos enfants, notre jardinier, notre femme de ménage, ou encore la nourrice de nos bambins. Par ce changement de rôles, même exigeant et difficile,on comprend et valorise davantage les fonctions de l’autre et notre besoin de l’avoir à nos côtés. Même au sein des familles, les rôles s’échangent et les tâches sont redistribuées, pour se réapproprier au mieux une routine nécessaire et vivable.
Professionnellement, sans parler des relations hiérarchiques qui tendent à s'aplatir par pragmatisme, nous construisons avec une plus grande créativité, une certaine agilité et en mode coopératif. Nos clients et nos prestataires deviennent des collaborateurs, et nos employés se transforment en partenaires, dans une dynamique de combat où l’expression «faire feu de tout bois» prend tout son sens. Enfin, entre collègues ou entre amis on se parle davantage en décrochantnostéléphonesetenabandonnantleslongséchangestextuelshabituels, pour enfin se connecter à l’autre.


Quelles leçons pensez-vous que notre pays en tirera ?
Même si on aimerait voir uniquement le verre à moitié plein pour pouvoir ensuite le remplir à ras bord, il y a des craintes et des menaces bien réelles de ce confinement. On tend à stigmatiser certains peuples,comme les Chinois ou les Américains, par l’irresponsabilité et parfois peut-être la malhonnêteté de leurs décideurs politiques. Ce risque se concrétise par des pensées sombres et des actes et des paroles racistes. Notre esprit critique est également menacé, dû entreautresànotreisolementetnotresituationd’anxiétépermanente(même légère),quinouspousseàcroireàdessolutionssimplespourrésoudreunproblème pourtant complexe et multidimensionnel.
Hannah Arendt soulignait justement que l’isolement des individus,et la perte d’unité, fragilise les peuples face au risque de totalitarisme. Ce confinement montre que ce totalitarisme est peut-être aussi nous-mêmes. Enfermés dans notre bulle d’opinion et d’observation, nous risquons de devenir notre propre ennemi. C’est une certitude, et c’est la leçon que nous devons tirer, gardons l’esprit ouvert, nous en sortirons plus forts et plus unis !
À quoi ressemblera, selon vous, l’après?
Nous avons la chance en France d’avoir un État présent,qui nous protège,mais nous devons nous rappeler et user davantage du soutien individuel,dans le but de construire une plus grande cohésion sociale. S’aider les uns les autres et valoriser par la même occasion les actions individuelles pour le bien collectif. L’individualisme, maladroitement perçu dans notre pays, est en réalité un levier pour l’entraide sociale, et ce confinement le démontre. Associé à un État fort, cela fera de notre pays en sortie de crise une pépite économique et sociale. C’est à ça qu’il devra ressembler.


par MarieVisot

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