Globalisation : nécessité ?

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Article tiré de l'Express du 05/05/20

 

Des voix s'élèvent pour demander la rapatriement des entreprises en France. Mais comment relocaliser le pétrole ou la main-d'oeuvre agricole que nous n'avons pas?

" Il n'y aura pas de pénurie alimentaire en France" , assuraient, le 8 avril, les
ministres de l'Agriculture Didier Guillaume et de l'Economie Bruno Le Maire.
Des propos visant à rassurer les Français alors que l'OMS et l'OMC tiraient la
sonnette d'alarme : suite au coronavirus, la planète pourrait être confrontée à
une pénurie alimentaire. En cause, le "ralentissement de la circulation des travailleurs de l'industrie agricole et alimentaire" : travailleurs dont ont besoin
les agricultures occidentales et difficultés logistiques dues aux contrôles aux
frontières. Du fait de l'absence de stocks, nos sociétés sont optimisées pour gérer l'abondance et non les pénuries.
A gauche comme à droite, des voix s'élèvent pour exiger la relocalisation des
entreprises stratégiques, réinstaurant ainsi la souveraineté de la France. Face
aux restrictions des exportations mises en place dans un grand nombre de
pays, le gouvernement français a appelé les supermarchés à privilégier les
produits alimentaires français, et notamment les produits frais. Un seul mot
d'ordre : préserver, autant que faire se peut, la (bonne) santé du pays. Fabriquer et consommer français.
Et la tentation est très grande par les temps qui courent. Entre les masques de
protection rachetés - ou même réquisitionnés - par les Etats lorsque des cargaisons transitent par leur territoire, et le lait en poudre disparu des rayons
de supermarché en Chine en prévision de difficultés d'importation (le lait provient principalement d'Europe), il semble logique de vouloir produire maison
pour éviter les déconvenues. Pour Stéphane Linou conseiller en développement local et auteur de Résilience alimentaire et sécurité nationale (The Book
édition), "nos territoires sont devenus des EPHAD à ciel ouvert, nous vivons
par perfusion, avec de mois en moins d'autonomie. " Cet ancien conseiller général de l'Aude déplore notamment la fin de ce qu'on appelle " la société de
pénurie" , une société consciente des possibles manques. " Sapiens ne sait pas
gérer le pétrole. Il s'est développé avec les ressources locales pendant des milliers d'années", fait-il remarquer. De l'apparition de l'agriculture et des premiers villages il y a environ 11.000 ans jusqu'à l'exploitation des énergies fossiles au XIXème siècle, les sociétés ont longtemps mis en place des stocks alimentaires individuels et collectifs. Désormais, les productions sont déterritorialisées.
" Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner,
notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie ", déclarait, le 12 mars, Emmanuel Macron, tout en promettant prochainement des " décisions de rupture"
. Des propos réaffirmés le 31 mars : " nous devons rebâtir notre souveraineté
nationale et européenne."
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Expert des risques systémiques et des stratégies de résilience, Arthur Keller réfléchit à ces questions depuis plusieurs années : " nous allons procéder à une
relocalisation massive forcée - intégrale ou non - avant qu'elle ne soit choisie. " Autrement dit, ces changements seront imposés aux sociétés si elles refusent de les anticiper. Après la contagion, viendrait donc le temps de la relocalisation. Ces promesses de mesures aux accents protectionnistes marqueront-elles une nouvelle ère ? Cette volonté d'autonomie soudainement affichée n'est pas sans poser de lourds problèmes de faisabilité...
"Les faux espoirs sur l'alimentation provoquent souvent des révoltes sociales"
L'autonomie agricole semble par exemple être un voeu pieux pour la France.
Les bêtes des élevages français sont généralement nourries avec des protéines
végétales importées, comme du soja sud américain. Sans parler de la maind'oeuvre dans les champs, souvent étrangère. " Ces perfusions sont devenues
essentielles à notre modèle agricole" , regrette Stéphane Linou.
"L'agriculture mondiale a besoin notamment de phosphate et de potassium
pour pouvoir offrir un rendement suffisant " , explique Vincent Mignerot,
chercheur indépendant en matière de risques et d'effondrement. Des produits
que l'on retrouve dans les engrais exportés par le Maroc, le Canada, la Chine
ou encore la Russie.
" Si l'on veut une agriculture qui s'affranchisse de ces éléments chimiques,
les besoins en main-d'oeuvre seront bien plus importants et les produits finis
plus onéreux" , complète le fondateur d'Adrastia, une association qui interroge
l'avenir de la civilisation industrielle. Il faut remonter quelques siècles pour
retrouver une agriculture indépendante en France. " C'était autour de 1789, et
à l'époque, 79% de la population français travaillait aux champs, note Vincent
Mignerot, on estime que ce type d'agriculture autonome mobiliserait aujourd'hui 20, 30 ou 40% des Français actifs, contre moins de 4% actuellement.
"
A cela s'ajouterait une perte de profits non négligeables. Difficile, dans un tel
scénario, d'investir d'autres secteurs et de générer du profit. Cette perte de ressource impacterait alors les services publics, la recherche, la défense, l'éducation... Une opération régime sec pour le pays. " La situation des pays sans autonomie agricole est compliquée, fragile. Il est donc important d'amorcer une
transition en ayant conscience des efforts globaux pour tout le monde" , affirme Vincent Mignerot.
Pas question donc de remettre à demain une évolution indispensable à la sauvegarde de la production agricole. Phosphate et pétrole, par exemple, viendront à manquer. Mais en ayant conscience du coût de ces changements et en
rendant publique la facture. "Les faux espoirs sur l'alimentation provoquent
souvent des révoltes sociales ", rappelle Vincent Mignerot.
De l'impossibilité de relocaliser
Quand certains parlent de relocalisation, d'autres répondent simplement localisation. Les sociétés n'ont pas attendu la mondialisation telle qu'elle se
présente aujourd'hui pour développer les échanges. Le commerce entre les
peuples est apparu bien avant l'Antiquité.
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Par ailleurs, la France, et même l'Europe, ne dispose pas ou plus des ressources
nécessaires à la fabrication des produits consommés quotidiennement. Pétrole, lithium, coltan, métaux rares sont des matières premières sans lesquelles l'environnement technologique actuel ne pourrait tout simplement
pas exister. Ainsi, le réseau électrique national français dépend tout entier des
importations de cuivre. Ce type de relocalisation est impossible en Europe, ses
sols n'en contiennent plus. S'il est envisageable de rapatrier des usines et des
infrastructures délocalisées à l'étranger, la France ne dispose pas des matières
premières essentielles à la production. Une totale indépendance alimentaire et
technique semble relever aujourd'hui de la fiction...
La souveraineté nationale se fonde largement sur l'indépendance à l'égard des
ressources primaires. " Or, l'Europe ne peut faire marche arrière. Elle a vidé
toutes ses ressources, en cuivre, en charbon..." , observe Vincent Mignerot. La
Chine, la Russie et les Etats-Unis, soit les pays-continents, peuvent être autonomes. Quant à la France, sa souveraineté repose dorénavant sur "sa capacité
à avoir une place géostratégique puissante permettant d'avoir la main mise sur
les ressources naturelles extérieures", constate le chercheur.
Viser la résilience
Face à la crise sanitaire liée au Covid19 et plus largement au déclin des ressources primaires, l'enjeu de l'autonomie apparaît désormais capital. " Le pétrole est devenue une ressource-contrainte. En France, sans or noir, on ne
sait rien faire, rien produire, rie n transporter... ", se désole Arthur Keller. Ce
constat ne se limite pas à l'Occident. La chute des prix du pétrole est, pour bon
nombre de pays africains, une véritable épée de Damoclès pesant lourdement
sur eux, au risque d'embraser un continent sous tension. "Nous ne pourrons
pas tenir longtemps en consommant ainsi, cette crise sanitaire doit devenir salutaire ", estime Stéphane Linou pour qui "l'absence de stock alimentaire, de production locale et de préparation au sein de la population affaiblissent la sécurité nationale. "
La solution alors ? Un modèle hybride, une complémentarité entre un modèle
agro-industriel particulièrement rentable, et une production locale, permettant la résilience. "Une agro-écologie", complète Arthur Keller, afin de recréer des écosystèmes et préserver les sols. Pour cet expert, la relocalisation doit
d'être, avant tout, une reterritorialisation de tout ce qui peut l'être, en donnant
du pouvoir aux territoires. Mais attention à ne pas décroitre plus vite que les pays voisins, prévient
Vincent Mignerot, " au risque de perdre des marchés et devenir faibles ; les
perdants de cette décroissance ne seraient alors que plus nombreux. " Localiser
ou relocaliser, il s'agit toujours de limiter les importations dans une perspective commune de sécurité et d'accessibilité. Pour que le "jour d'après" soit celui de la France.

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