Santé des personnes handicapées : il faut tout revoir

Malgré le Ségur, la France manque d'une vision pour organiser la politique de santé des personnes handicapées : il faut partir des territoires pour recenser les besoins et impliquer les patients dans la gouvernance.

Tribune. La Covid-19 a eu un mérite cruel. Elle a mis en évidence l’absence d’une politique de santé pour les personnes handicapées. Leur légitimité à bénéficier de réanimation pendant la pandémie a même été discutée. Il a fallu une conférence de presse montée en urgence pour que les ministres concernés réaffirment le principe universel de non-discrimination et leur droit à tous les soins. Quoi qu’il en soit, presque tout s’est arrêté : rééducations, accueils de jour, bilans ou interventions programmées.

Depuis, le Ségur de la santé a été lancé. La vision manque toujours. Alors que notre pays prétend avoir «le meilleur système de santé du monde», beaucoup de parents d’enfants handicapés continuent de monter des associations pour les faire soigner à l’étranger. A quoi sert de communiquer, de militer pour l’accès aux soins, si le développement des connaissances et l’organisation des compétences n’avancent pas ? Question de vision, de stratégie. Réduire la politique de santé à un simple enjeu d’accessibilité, c’est se tromper de cible. L’accessibilité n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un moyen. S’il n’y a pas de rampe d’accès ou d’interprète en langue des signes, si même, et l’accessibilité va jusque-là, on ne donne pas rendez-vous avec le spécialiste pertinent à moins de 18 mois, le droit à la santé est vide de sens.

Concilier la proximité et l’expertise

Tout, partout, doit être accessible, bien sûr. Mais, s’il est un besoin crucial, c’est celui des compétences. Et les mettre à portée des intéressés n’est pas chose facile. L’expertise en médecine se construit dans la confrontation régulière à un nombre important de cas de la même pathologie ou de la même prise en charge. Ce qui est vrai pour la greffe d’un rein ou pour un cancer du sein, doit l’être aussi pour le handicap : une bonne réponse exige que le corps médical dispose des outils et d’une expérience acquise dans nombre de situations similaires. Plus une situation est complexe, plus le lien avec un pôle de référence s’impose. Ce pôle doit pouvoir développer les compétences multidisciplinaires spécialisées indispensables ainsi que l’expérience nécessaire de la pathologie ET des situations de handicap. Il est aussi acteur de recherche et vecteur d’innovation, porteur d’espoir et d’avenir.

Résoudre l’antagonisme latent entre expertise et proximité passe par la définition de territoires et de liens de coopération. Au lieu d’attendre que des pôles de référence indispensables se créent (ou pas) au gré d’initiatives isolées, il faut en organiser le maillage dans le pays en fonction d’une analyse des besoins. Que le centre de référence soit au niveau d’un CHU, ou régional voire interrégional, c’est à lui d’organiser avec les acteurs de proximité le parcours des enfants et des adultes en tenant compte des ressources existantes ou à créer. Parce que la santé est bien-être physique, mental et social, et pour lever les restrictions d’activité et de participation, les acteurs de santé doivent aussi être coordonnés avec les diverses ressources éducatives, professionnelles, culturelles et sociales sur leur territoire.

A mi-chemin du plan «Ma Santé 2022», où en est-on ? La route à suivre était claire : «L’accès à des soins spécialisés de qualité en toute sécurité doit être garanti. Pour répondre à cet enjeu, il ne s’agit pas de pouvoir bénéficier en proximité de tous les soins, mais que chacun soit orienté vers des lieux de soins adaptés à ses besoins et à son état de santé.» Pourtant, l’échec du système de santé français est patent dans plusieurs domaines du handicap. Qu’il s’agisse de la paralysie cérébrale, première cause de handicap moteur de l’enfance, ou d’autres causes.

 

Faute d’avoir défini des objectifs de santé (par exemple la réduction d’incidence de la pathologie, de ses complications…), les critères de gestion des organisations ont prévalu. Alors que le décloisonnement entre l’hôpital et le médico-social a été amorcé, l’articulation avec la médecine et la rééducation de ville a été oubliée. Les injustices territoriales et la bureaucratie continuent de prospérer, abandonnant des réseaux qui existaient dans deux régions. Les contraintes financières poursuivent leurs dégâts et leur absurdité. Le plus bel exemple en étant le paiement à l’acte pour une séance de rééducation de trente minutes, alors que quinze minutes peuvent être nécessaires au déshabillage et à la sortie du fauteuil des plus dépendants. Où est la vision ?

Engager les personnes handicapées dans la gouvernance

Améliorer la santé implique que la pertinence d’une action soit jugée par la personne concernée avec ses valeurs propres. L’objectif d’amélioration à atteindre appartient à celui qui le choisit ; et à lui seulement. Aux soignants et accompagnants de se rassembler pour tirer alors dans le même sens, ou d’accepter de limiter leurs interventions. Les modes de gouvernance proposés au niveau régional comme au Ségur de la santé n’impliquent pas assez les patients. Au Ségur leur présence au comité national est symbolique. Les conférences régionales de santé et de l’autonomie sont des lieux de concertation sans pouvoir de décision. Même si la part des usagers y est plus importante, elle reste très minoritaire par rapport à l’ensemble des parties prenantes.

Le temps est venu d’expérimenter d’autres approches en les impliquant dans la gouvernance et la mise en œuvre de la politique de santé. Les associations de personnes en situation de handicap sont sans doute parmi les mieux préparées à jouer ce rôle. Dans les pathologies sources de handicap, on pourrait en tirer parti en les reliant aux divers acteurs de santé des territoires, aux sociétés savantes, pour déterminer dans chaque région des objectifs de progrès de santé pour chaque situation. On pourra alors actionner des principes de management plus efficaces des acteurs de santé, déléguer, innover, et responsabiliser sur les résultats. Les personnes handicapées n’entendent plus être des victimes, mais des acteurs. C’est là toute la différence. Pas seulement une question de vision stratégique mais aussi de reconnaissance de leur dignité.

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